Lakshmi est assise par terre, devant une table de bois. Sur le dessus se trouvent de la pâte composée de poudre de santal et de fines tiges de bambou qu'elle prend une à une pour en façonner des bâtonnets d'encens.
La différence entre Lakshmi et Nalini, qui travaille dans une fabrique voisine, est que Lakshmi est payée décemment, qu'elle fabrique les bâtonnets avec une matière naturelle, sans danger pour sa santé - et éventuellement la nôtre - en plus de travailler dans un milieu propre et climatisé: une oasis, dans sur nos tablettes.onnets d'encens. Lakshmi est l'une des milliers de travailleuses indiennes qui fabriquent ces articles que nous retrouvons le sud de l'Inde, où le climat est chaud et humide.
Lakshmi et ses collègues peuvent profiter d'un plan d'épargne et d'assurances, de soins de santé pour elles et leurs enfants, de remboursement des frais de transport, on leur offre même des cous d'anglais. Ce petit paradis des travailleuses indiennes est l'œuvre de deux Indiens, Devaki et Subhasish, accompagnés de deux Québécois, Hélène Montreuil et Jean Morin.
Tout a commencé quand...
Hélène et Jean étaient en année sabbatique lorsqu'ils ont fait la connaissance de Devaki et Subhasish. Un concours de circonstances les a amenés à partager la maison du couple, alors située à Pondichéry, au bord de la mer. Nous sommes en 2002-2003, tous participent au projet Auroville, lui-même soutenu par l'UNESCO. Essentiellement, Auroville est un lieu de vie communautaire qui accueille des gens d'une quarantaine de pays et dont les centres d'activités touchent l'agriculture, l'artisanat, l'éducation, l'informatique et la santé.
L'amitié entre les deux couples se renforce au cours des mois, à tel point que les Québécois prévoient revenir à Pondichéry en février 2005. Entre temps, les affaires vont bien pour le couple indien ; ils ont démarré leur propre fabrique d'encens. Hélène et Jean ont leurs billets d'avion en main lorsque, le 26 décembre 2004, le tsunami frappe l'Indonésie, la Thaïlande, le Sri Lanka et... le sud de l'Inde.
«On est arrivé à avoir des nouvelles par personne interposée», raconte Hélène. Devaki et Subhasish ont pratiquement tout perdu, sauf la vie. Avec les images véhiculées dans les médias, Hélène et Jean s'attendaient au pire à leur arrivée, mais pas à voir autant de désolation. «On avait vu des lieux riches et là, tout était mort», ajoute Hélène.
Arrivés au beau milieu des détritus, les Québécois ont relevé leurs manches pour nettoyer l'appartement qu'ils avaient habité naguère. Trop affligés par le drame, Devaki et Subhasish n'ont, quant à eux, jamais pu y habiter de nouveau.
Le projet

Devaki et Subhasish avaient l'expérience dans la fabrication d'encens et tout ce qu'il fallait pour partir à leur propre compte. Le tsunami avait aussi détruit ce projet, mais c'était sans compter sur l'aide venue du Québec. Les sachant dans le besoin, Hélène et Jean avaient organisé une petite levée de fonds avant de partir retrouver leurs amis.
Cela dit l'argent, le temps et la bonne volonté ne sont pas toute l'aide apportée par le couple québécois : l'expertise y est pour beaucoup. Jean Morin est un ancien banquier et Hélène Montreuil est une spécialiste en gestion du changement. Grâce au temps et aux efforts consacrés par tous, le projet commercial à caractère humanitaire démarre sur de nouvelles bases dès 2005. La première livraison d'encens est reçue au Québec en septembre de la même année.
«Ce projet-là, moi je l'appelle le bébé du tsunami», confie Jean Morin. Les décisions sont prises conjointement, selon les règles du travail équitable, assure-t-il. «Tout est fabriqué à la main et on tente d'encourager les artisans locaux», explique Hélène. Aussi, la charte éthique de l'entreprise - au fondement du projet - est revue chaque année. Il est important pour tous de s'assurer que chacun est toujours à l'aise avec les principes directeurs que sont : la préoccupation environnementale, l'intégrité, l'excellence, la compréhension et la responsabilité, notamment dans le respect des droits humains fondamentaux.
Autre aspect du projet : il emploie majoritairement des femmes. Au début, elles avaient un salaire fixe, pour éviter le travail sous pression. «En étant payées uniquement à la pièce, les femmes développent des tendinites et le produit n'est pas toujours de qualité. Nous, on ne voulait pas ça», précise Hélène Montreuil avant d'ajouter : «En plus, ça n'a pas d'allure qu'un bâton d'encens soit garroché s'il est pour être brûlé lors d'un rituel». Cependant, la nature humaine étant ce qu'elle est, les travailleuses les plus rapides ont demandé à être compensé pour leur efficacité. Ainsi, un système de bonifications a été instauré... pour plus d'équité !
Hélène et Jean parlent avec passion de ce projet, des valeurs du commerce équitable, des articles qu'ils importent ici sous la marque ToutNaturel.ca: «Ça aurait pu être toute autre chose que de l'encens, le produit n'était pas important au fond, mais on est content qu'il soit bon et apprécié» se réjouit Jean. «C'est sur une base humanitaire qu'on fait ça, poursuit-il, nos points forts sont la qualité de nos fragrances - une vingtaine - notre charte éthique et le fait que les produits soient certifiés non-toxiques». «Ce qui est bon pour les ouvrières qui respirent et ont les mains dedans», ajoute Hélène.
Pour donner un fonds de roulement à l'entreprise, 50% de la commande québécoise est payée à l'avance. Jean parcourt la province à la recherche de distributeurs et de détaillants qui épousent les valeurs du commerce équitable. On retrouve leurs encens aussi à Ottawa, mais le plan à moyen terme est d'élargir la mise en marché au reste du Canada. Six ans après la première commande, une part significative de la production est vendue au Québec, à travers environ 100 points de vente. Cette contribution assure une permanence à l'entreprise artisanale.
Ce qu'en retirent Hélène et Jean? Une amitié solide et sincère, des voyages, un projet de vie centré sur «faire du commerce autrement... », où l'humain a toute sa place et enfin, avoir le sentiment du devoir accompli: aider son prochain.